0

Webdoc image fondpng

Le manga français : une montée en puissance en mode shonen ?

Le manga français a eu de nombreuses appellations depuis son apparition : le manfra, le franga, manga à la française ou encore manga-like... Ces différents noms ont été inventés pour désigner ces œuvres de bandes dessinées réalisées par des auteurs francophones s’inspirant du phénomène japonais. Avec 16,7 millions d'exemplaires vendus en 2018, la France, où une bande dessinée sur 3 achetées est un manga, constitue le deuxième marché mondial derrière le Japon. Il n'est donc pas étonnant que de talentueux auteurs et dessinateurs français se soient lancés dans l’aventure.

 

Depuis 30 ans, de nombreux Français sont tombés amoureux de ces bandes dessinées au style dynamique venues tout droit de l’Empire du soleil levant : les mangas. Une histoire d’amour et une montée en puissance qui ont commencé en 1993 avec l’apparition d’une oeuvre mondialement connue : Dragon Ball Z. Cette appétence pour le manga a permis à tous ces passionnés d’en apprendre ses secrets de fabrication. Aujourd’hui, les différentes facettes de la bande dessinée japonaise ont eu le temps d’être assimilées par les auteurs. D’où le succès de certaines œuvres comme Lastman vendu à 550 000 exemplaires en France, qui a eu une série adaptée et diffusée sur Netflix, ou Radiant avec plus de 200 000 exemplaires vendus, première œuvre française de ce genre à être adaptée en dessin animé au Japon.

Des succès inimaginables, comme l’explique Paul Ozouf, rédacteur en chef du Journal du Japon : « Il y a déjà eu plusieurs vagues de manga français avec par exemple le Montpelliérain Reno Lemaire et son manga Dreamland en 2006 mais très peu d’auteurs de cette époque ont su perdurer. Ça a un peu marché mais c’était un peu n’importe quoi, ça a rendu les lecteurs de manga méfiants. Le début des mangas français a été marqué par de nombreux opportunistes qui créent des oeuvres hybrides de bande dessinée avec des personnages au style manga mais qui n'en étaient pas vraiment. Nous n’étions encore pas prêts ».

 

 

Le Journal du Japon est un média spécialisé du secteur j-loisirs : manga, anime, littérature, musique, cinéma, jeu vidéo… En bref, tout ce qui se rapporte à la culture du divertissement à la japonaise. Créé en 2008, c’est avec une forte présence sur les réseaux sociaux et un regard journalistique que ce webzine a fait sa place parmi les plus reconnus de la presse spécialisée. Le rédacteur en chef de ce média composé de passionnés, Paul Ozouf, nous a livré son expertise sur l’univers du manga français tout en arpentant ses étagères remplies de mangas. 

jdjpng

ZOOM SUR :

Il faut attendre la fin des années 2010 pour que les codes du manga soient suffisamment compris par les dessinateurs français qui ont progressivement fourni des travaux qui se rapprochent de plus en plus des chefs d’œuvre de mangaka* japonais. « Ces oeuvres permettent de nous identifier plus facilement aux personnages puisqu’ils nous ressemblent au niveau de l’esprit et des coutumes » , explique Manon, journaliste au sein du média Mangacast. « Quand le personnage prend la main de l’héroïne, sa réaction est tout de suite exagérée, comme si c’était exceptionnel... En France, nous ne serons pas choqués, c'est plus normal pour nous : il ne fait que lui tenir la main... » ajoute-t-elle. Cette proximité culturelle a pu séduire une grande partie du lectorat français, séduite par cette nouvelle proposition éditoriale. 

 

Découvrez le top 10 des mangas français publiés entre 2005 et 2017 :

Double.me aborde le problème des nouvelles technologies et leurs conséquences les plus perverses avec l’histoire de deux adolescentes. L’une meurt mais une intelligence artificielle continue de la faire vivre à travers une application. Son amie va-t-elle réussir à décrocher ? Un seinen* parfait pour les fans de Black Mirror. (2017)

Dans son manga Ki et Hi, le Youtubeur Kevin Tran aborde la relation conflictuelle de deux frères avec humour et légèreté grâce aux dessins de Fanny Antigny. (2016)

Douze tomes, une série animée et un jeu vidéo… Lastman a connu le succès avec l’histoire de Richard, un boxeur désinvolte, et du jeune Adrian qui participent au fameux tournoi d’arts martiaux de la Vallée des Rois face à des adversaires tous plus extravagants. Badass. (2013)

L'histoire de City Hall se déroule au début du XXème siècle dans un univers steampunk. À Londres, un auteur criminel utilise un mystérieux pouvoir pour commettre ses méfaits. Jules Verne et Arthur Conan Doyle sont chargés de l'enquête. Rien que ça. (2012)

Dreamland fait partie des précurseurs dans l’univers des mangas français. Dans celui-ci, un jeune Montpelliérain peut voyager dans un univers fantastique pendant son sommeil. Dans ce monde de rêves ou de cauchemars, les voyageurs possèdent des pouvoirs étroitement liés à leur vie éveillée. (2006)

Pen Dragon retrace l’histoire d’un adolescent chasseur de dragons. Après le décès de son père, il na qu’une chose en tête : réussir là où son père a échoué. Un shonen* made in France et des dragons. Que demander de plus ? (2007)

Pink Diary reprend les codes du shojo*, une catégorie de mangas destinée à un public plus féminin. Dans son oeuvre, l’auteure Jenny parle des histoires d’amour tulmutueuses d’une adolescente de 16 ans qui se confie à son journal intime. (2006)

Double-mejpg copy
kihijpg copy
Lastmanjpg copy
cityhalljpg copy
dreamlandjpeg copy
pendragonjpg copy
pinkdiaryjpg copy

Head-Trick est une série de 11 tomes parfaite pour les fans de sport et d’humour. Un lycéen à problèmes, connu pour ses coups de boule destructeurs, doit s’inscrire dans l’équipe de football de son école. Problème, il déteste ce sport et s’est retrouvé là après avoir blessé le capitaine de cette équipe. (2011)

Saviez-vous que le célèbre jeu vidéo DOFUS avait eu droit à un manga éponyme ? Publié par Ankama dès 2005, ce manga mêlant aventure et comédie retrace l’histoire d’un jeune berger Féca embarqué malgré lui dans une épopée après la mort de son grand-père, un puissant guerrier. Moment de nostalgie pour les fans du jeu vidéo. (2005)

Radiant est le seul manga français à avoir été adapté en dessin animé au Japon. Ce best-seller dessiné et imaginé par Tony Valente conte l’histoire de Seth, un jeune sorcier qui lutte contre les Némésis, des monstres mythiques détruisant tout sur leur passage. Le but ultime de cet apprenti sorcier ? Trouver le nid de ces monstres, le Radiant. (2013)

headtrickjpg copy
dofusjpg copy
radiant-tome-1jpg copy

Un rapprochement entre deux cultures

Entre 2008 et 2014, le Japon a connu une panne de créativité. Les indétrônables Naruto et One Piece tenaient le marché en France mais très peu de nouveautés sortaient en rayon. Il manquait une nouvelle vague de mangas japonais, des titres qui allaient pouvoir encore plus ancrer l’emprise sur le marché international. Ce manque de renouvellement a poussé les éditeurs japonais à aller voir ce qu’il se passe à l'étranger : « Il y a eu une rencontre entre le manga français qui a monté les échelons tout doucement jusqu’à attirer l’œil des éditeurs japonais qui cherchaient un peu de sang frais », explique Paul Ozouf.

Un intérêt pour l'étranger qui n'est pas nouveau puisque les Japonais ont toujours été « passionnés par la Révolution française », précise le rédacteur en chef du Journal du Japon, qui observe  Un  rapprochement culturel qui s'est accentué ces dernières années. Par exemple, le phénomène japonais My Hero Academia reprend les codes américains en mettant en scène des super-héros, des personnages emblématiques de la culture américaine. De plus, de nombreux mangas japonais mettent en avant leur profonde inspiration, intérêt pour l’histoire européenne :

Un avenir radieux ?

« Il y a 20 ans on n’assumait pas vraiment de lire des mangas. Les personnes qui le faisaient étaient vues comme des parias », affirme Paul Ozouf. Dans les années 1990, de nombreux intellectuels ou politiques, à l'instar de Ségolène Royal, faisaient passer le manga et notamment leurs adaptations animées comme un produit culturel "terrible" pour la jeunesse. 

 

Une époque révolue. Aujourd’hui de plus en plus de personnes lisent des mangas ou regardent des anime. La nouvelle génération s’est attachée aux bandes dessinées japonaises et ont élargi leurs horizons jusqu’à tomber sur la French Touch du genre. La Japan Expo, qui est le plus grand salon événementiel professionnel dédié à la culture nippone, l’a bien compris et a dédié une édition spéciale aux Français en 2016. Cette décision d’inviter des mangakas français comme Tony Valente, Elsa Brants ou Reno Lemaire a marqué un tournant dans l’histoire des mangas français : les lecteurs de bande dessinée japonaise étaient prêts à l'accueillir.

 

Cet essor du manga en France est aussi à l’origine de nombreuses vocations comme le souligne Grégoire Hellot : « Il y a des jeunes gens de 13 à 18 ans qui recherchent vraiment à devenir mangaka. Quand je les rencontre, je leur demande, ils me disent en premier qu’ils veulent devenir Youtubeur mais au fond beaucoup souhaitent devenir dessinateur de manga ». Grégoire Hellot est éditeur au sein de la maison Kurokawa. Elle s’est lancée dans les mangas français en janvier 2020 avec sa collection KuroTsume en collaboration avec Tsume, une société connue des fans de mangas pour ses figurines s’inspirant de cet univers. L'éditeur a très vite vu des avantages liés à l’édition de mangas créés par des Français : « Si je veux faire une affiche géante de 20 mètres sur 15 avec un personnage japonais, je dois négocier avec un éditeur japonais. Je ne rencontre pas ce problème avec les mangas français car ils m’appartiennent. Je fais ce que ce je veux avec sans être dépendant ». Il y voit aussi un véritable avantage économique : « Pour faire venir un auteur japonais à la Japan Expo je dois compter entre 5000 et 10000 euros de dépenses. Vous ne pouvez pas le faire dormir au Formule 1 ou manger au Flunch ! Pour un mangaka français, je peux le faire dormir dans un super hôtel et payer son voyage, les coûts seront facilement divisés par 10 ».

 

Stéphane Ferrand, ancien directeur éditorial au sein de la maison d'édition Glénat s’accorde avec son homologue : « Le manga français a un avenir réel. On n'est pas sur un effet de mode, la création française existe déjà depuis plus de 10 ans. Il y a un flux générationnel propice au développement du manga français ». L’avenir semble prometteur pour les auteurs hexagonaux qui sont devenus « plus matures et techniques » : « Il y a eu un déclic quand les licences japonaises intéressantes ont été plus difficiles à acquérir auprès des ayants droits », conclut Stéphane Ferrand.

 

Les mangas français ont mis du temps avant de réussir à se faire une petite place face au mastodonte japonais. Il est indéniable que Radiant a réussi à ouvrir une brèche pour que les autres auteurs s’y engouffrent. Mais en sont-ils capables ? Qu’est-ce qui pourrait les stopper dans cette ascension lancée par Tony Valente et les autres ? Les mangas français entament un parcours semé d’embuches afin d’accentuer leur influence en France et dans le monde. Le niveau japonais semble encore inatteignable et les freins à leur essor restent encore nombreux.

 

Un combat de sumo inégal

Stéphane Ferrand pense avoir trouvé la raison pour laquelle le combat des mangakas français pour égaler les Japonais est loin d'être gagné : « Ils ont peu de visibilité dans un marché dominé par les mangas japonais. La technicité de la création des mangas français n’est pas à la hauteur des japonais ». Le Japon a une longueur d’avance sur tous les autres pays du globe, il en est son créateur. Le Japon a su jouer à merveille de son soft power culturel et compte bien garder le manga comme fer de lance. Cet art y est roi, génère énormément de profits, fait vivre et passionne des millions de Japonais. En 2017, 316 millions de mangas ont été écoulés dans la péninsule pour un chiffre d’affaires de 1,2 milliard d’euros. Paul Ozouf croit au succès des mangas français mais ne voit pas la Gaule venir à bout de l’empire japonais : « il faut rendre à César ce qui est à César, le pays du manga c’est chez eux, pas chez nous. Nous faisons les choses bien, on fait les choses beaucoup mieux mais ce sont eux les boss. Nous avons des éditeurs français très talentueux mais nous n’avons pas encore d’équivalents de la Shueisha* ou de Kodansha* ».

 

Les mangas sont ancrés dans la culture des Japonais depuis 1945 et l’avènement de Osamu Tezuka, considéré comme l’équivalent de Walt Disney et le « père du manga ». Les Japonais ont été bercés par ces bandes dessinées, ils les connaissent par cœur : « Quand tu es dessinateur en France, tu as forcément la bande dessinée franco-belge en guise de référence. Il sera donc difficile pour toi de fournir le même travail qu’un mangaka qui ne lit que des mangas depuis qu’il a 5 ans », selon Paul Ozouf. Au Japon, si une œuvre a du succès, la machine économique est très vite lancée comme l’explique Grégoire Hellot : « Un manga au Japon est puissant parce qu’il va avoir un dessin animé, un jeu vidéo, des figurines, une tonne de produits dérivés... Il va y avoir un univers dans lequel les lecteurs vont aimer se retrouver. C’est ça la véritable force des mangas japonais ». D’un autre côté, un manga français existera très souvent seul malgré quelques exceptions comme l’adaptation en animé de Radiant, de Lastman ou encore les jeux vidéos Dofus qui ont propulsé les ventes du manga éponyme.

Des mentalités trop différentes ?  

La supériorité des mangas japonais est aussi due à leur rythme de parution. Les éditeurs mettent énormément de pression sur le dos des mangakas afin qu’ils publient le plus possible et très rapidement. Ils ont pour cela des assistants qui les aident après avoir travaillé seul avec un rythme effréné. En France, les mangakas n’ont pas d’assistants à part quelques exceptions et on reste très éloigné des équipes mobilisées sur un manga au Japon : « Je n’ai qu’un assistant qui m’aide à nettoyer les cases afin que je puisse au plus vite dresser la trame narrative de ma page », explique Tony Valente, l’auteur de Radiant. « Je n’arrive pas à fournir plus de deux tomes par an et je veux rendre quelque chose de qualitatif, pas un travail bâclé. Au Japon, les mangakas ont des assistants et des chefs assistants qui les forment. Cela représente beaucoup d’argent et de temps ». La création d’un ouvrage au Japon est une véritable entreprise, les balbutiements du manga français ne permettent pas encore de copier ce modèle. Mais est-ce que ce ne serait pas une bonne chose ? Il y a beaucoup de dérives liées au rythme de parution au Japon. Les éditeurs surveillent les mangakas de près et s’assurent que le rythme est tenu. Les conséquences sont terribles : de nombreux auteurs ont des problèmes de santé, le stress permanent les pousse vers un burn out inévitable et certains sont contraints de tout arrêter, de se protéger. « On ne verra jamais ça en France et je l’espère. Ce n’est pas plus mal si un mangaka français ne sort qu’un tome par an », estime Paul Ozouf.

Les maisons d’édition françaises, pour la plupart, restent frileuses à l’idée de se jeter corps et âmes dans la production de manga original. Elles prennent des risques financiers en lançant la promotion d’un manga made in France comme l’explique Paul Ozouf : « Le Japon fait office de test pour la sortie d’un manga japonais. Si l’œuvre ne marche pas là-bas, l’éditeur français sait que cela ne marchera sûrement pas en France ». Pour un manga français, l’éditeur doit avoir une confiance totale dans l’œuvre et l’auteur. Il se lance « à l’aveugle » et ne possèdera donc pas le même sentiment de confiance lié à la sortie d’un best-seller japonais sur le territoire français. Ce manque de visibilité lié à la peur de certains éditeurs se fait ressentir du côté des lecteurs : « Si on veut vraiment faire de belles trouvailles en manga français, il faut parfois aller chercher très loin sur Internet. J’ai par exemple trouvé une artiste avec un scénario super et un don pour le dessin sur la plateforme Ulule, un site de financement participatif », observe Gensen, journaliste à Mangacast.

Une grammaire pas encore maitrisée...

Le Japon a acquis au fil des années un mode de production très spécifique. Les mangas locaux ont une trame narrative inédite et sont un modèle unique qui a su porter ses fruits. Ils possèdent une narration complexe sur la mise en scène, le découpage, le jeu avec les cases... Pour de nombreux acteurs du secteur en France, les mangakas hexagonaux n’auraient pas encore assimilé ces caractéristiques du manga à la japonaise. Satoko Inaba, directrice éditoriale de Glénat partage notamment ce point de vue. Seuls Reno Lemaire et Tony Valente ont réussi à s’en rapprocher mais « cela s’est fait petit à petit et ils font encore figures d’exception », souligne Paul Ozouf. Malgré tout, le rédacteur en chef du Journal du Japon reste confiant pour la suite. Le meilleur allié des mangas français, ce sera peut-être le temps : « Dans 10 ans, peut-être que la grammaire du manga sera totalement maitrisée par une multitude de jeunes souhaitant se lancer dans l’aventure qu’est la création d’un manga ».

 

Cet écart de niveau concernant la narration s’explique par un modèle de parution très différent. Au Japon, la plupart des séries de mangas passe par des magazines avant de connaître une sortie en volumes reliés. Le leader au Japon « Weekly Shonen Jump » vend en moyenne trois millions d’exemplaires par semaine. C’est dans ce magazine que les plus grands succès du manga japonais comme Dragon Ball, One Piece ou Naruto ont fait leurs gammes. Dans ces pages, les auteurs doivent faire en sorte que les lecteurs votent pour eux pour que la semaine suivante, ils puissent continuer à pouvoir dessiner. Pour Grégoire Hellot, cette méthode de parution est sûrement le secret de leur trame narrative si efficace : « Si un mangaka japonais veut voir son œuvre sortir un jour, il faut que chaque chapitre paru dans le magazine soit rythmé, bien raconté, dynamique et surtout, qu'il se termine sur quelque chose qui donne envie de lire la suite ». Ces magazines ont appris aux mangakas l’art du cliffhanger* mais leur mettent aussi une épée de Damoclès au-dessus de la tête afin qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes s’ils veulent voir leur manga paraître.

Pour faire un point condensé sur toutes ces questions liées au manga français, nous avons pu échanger avec Matthieu Pinon. Investi depuis une vingtaine d’années dans cet univers, ce journaliste chevronné a travaillé chez Animeland ou pour le magazine Coyote. Sa passion et ses connaissances l’ont amené à écrire à plusieurs mains l’ouvrage Histoire(s) du manga moderne, une bible retraçant l’histoire de cette bande dessinée depuis 1952, sans oublier d’y inclure une section Made in France. Le tout sublimé par des illustrations d’un des patrons du manga français : Tony Valente.

Pour ce webdocumentaire, nous nous sommes entretenus avec l'un des tauliers du manga français : Tony Valente. Après des premiers pas dans le monde de la bande dessinée traditionnelle, il devient un auteur à succès avec le lancement de son oeuvre Radiant en 2013. Cet univers de fantasy gagne le coeur de milliers de lecteurs et remporte de nombreux prix en France. Profondément imprégné de la culture manga, la success story de ce dessinateur toulousain ne s'arrête pas là car il réalise son rêve en 2018 avec l'anime adapté de son oeuvre par un studio nippon.

 

Début 2013, trois amis proposent le premier tome de leur nouveau manga : Lastman. Sept ans et des centaines de milliers d’exemplaires vendus plus tard, cette série fait partie des pilliers du manga français. « A la base c’était juste une discussion dans un bar comme beaucoup de projets qui naissent comme ça », confie Balak. Biberonné à l’animation japonaise avec notamment l’arrivée de Goldorak à la télévision française, il était le metteur en scène, celui chargé du storyboard derrière les 12 tomes de Lastman. Avec ses compères Bastien Vivès et Michael Sanlaville, il a réussi à créer la surprise avec Lastman. « Beaucoup de gens ne s’y attendaient pas. C’est un manga à part, avec un scénario assez sombre et assez bien ficelé pour attirer un public peut-être plus mature », analyse Manon, chroniqueuse chez Mangacast.

 

 

 

Au fil des années et des succès qui s’accumulaient, le manga français a réussi à conquérir son lectorat d’après Manon. Aujourd’hui, des titres sont suffisamment forts pour attirer un public et s’ancrer dans le paysage. Aux côtés de Dreamland et Radiant, " les titres les plus percutants", Lastman était un outsider devenu aujourd'hui pilier du genre.

 

 

 

Un modèle japonais très présent

 

Cela va sans dire, pour faire du manga, il faut connaître les codes du genre pour pouvoir les exploiter au mieux. De nombreux ouvrages nippons ont ainsi inspiré nos auteurs hexagonaux. « Les plus grosses influences en terme de mangas sur Lastman, c’est Hokuto no Ken (ndlr : Ken le Survivant) du côté de Bastien et Michael avec un peu de Dragon Ball par-ci par-là et de mon côté, du Berserk en particulier », décrit Balak. Mais ces influences ne sont pas que graphiques, elles peuvent également être éditoriales. Au lancement de l’aventure Lastman, les trois potes s’étaient imposés un rythme de publication soutenu qui se rapprochait du modèle japonais : être capable de sortir 20 planches par semaine. « Bastien est tombé sur Bakuman, un manga qui parle de la manière de faire de Shonen Jump on va dire et il avait trouvé cette manière de faire beaucoup plus stimulante que la façon de faire plus pépère, à la franco-belge. On voyait que ce qui marchait, en particulier, dans le manga, c’est la régularité de publication des tomes, des chapitres qui tombent toutes les semaines et puis cette exigence-là impliquait une efficacité narrative ». L’expérience est concluante : le trio réussit à tenir le rythme sur le premier cycle de leur histoire, sortant 6 tomes en 2 ans.

 

 

 

Pour Balak, ce qu’il préfère dans le manga c’est « ce côté extrêmement cinématographique, vraiment près des émotions des personnages ». Il poursuit : « C’est toujours très clair et premier degré dans la manière de présenter une atmosphère, des intentions de personnage. Il y a quelque chose de très difficile dans la simplicité de ce que les mangaka arrivent à faire ». L’auteur explique avoir été « très premier degré dans la mise en scène à la japonaise ». 

Mais avec une touche personnelle qui fait la différence

 

En ouvrant un manga hexagonal, le lecteur sait qu’il ne lira pas une série nippone car malgré des influences culturelles de plus en plus globalisées, certaines choses restent intraduisibles. « Moi ce que j’apprécie dans le manga français par exemple, c’est l’humour. C’est quelque chose de difficile à traduire car très ancré culturellement. Quand je lis Radiant ou encore Dreamland, je suis bidonné, car c’est un humour à la française. Je peux aussi rigoler en lisant des œuvres de Hiromu Arakawa (ndlr : mangaka japonais connu pour Fullmetal Alchemist) mais ce sera différent », résume Paul Ozouf. De la même manière, Balak se souvient de l’accueil réservé à Lastman quand il a été traduit au Japon. D’après lui, il n’a pas été le succès escompté pour « des raisons graphiques mais aussi thématiques, on se rendait compte que culturellement il y avait un problème ».

 

On retrouve facilement cette alliance de genres dans Lastman. Pendant que Balak s’attelait à travailler sur une mise en scène respectueuse des principes traditionnels, ce sont ces collègues qui ont apporté la petite touche de nouveauté : « Le style de dessin de Bastien et Michael était très éloigné du style de dessin des mangas japonais tel qu’on l’entend. C’est un truc plus européen, indépendant ». Sans chercher à se démarquer, les auteurs ont petit à petit pris certaines décisions graphiques comme la suppression des lignes de vitesse, souvent présentes dans les mangas, pour se concentrer sur le dessin et délaisser les effets. « Ce sont juste des petites décisions comme ça qui font que le projet prend un peu de spécificité par rapport à un truc purement influencé manga », conclut Balak.

Lastman, un rêve éveillé

 

Au-delà des chiffres, ce sont aussi des succès d’estime qui ont donné au manga français sa légitimité. En 2015, le manga de Balak, Bastien Vivès et Michael Sanlaville a remporté le Prix de la meilleure série au prestigieux festival d’Angoulême et a reçu « la reconnaissance de la part du milieu de la BD mais aussi du manga avec Katsuhiro Otomo, Naoki Urasawa et d’autres qui saluent l’exercice ».

 

 

Cerise sur le gâteau, les adaptations de ces œuvres en anime constituent une autre validation du manga français alors que cela paraissait impossible pour les auteurs. « Ce n’était même pas un espoir c’était impossible. On commence Lastman et bien sûr on se dit avec Bastien et Michael qu’on fera un jeu vidéo, une série si ça marche, tout en sachant très bien qu’il y a une chance sur 1000 pour que cela arrive. On fantasmait sur une série TV animée. Quand on a écrit le pilote pour France 4, on y allait en se disant "bon on se fait plaisir, on a mis tout ce qu’on voulait y voir, ils vont nous dire Non et puis voilà." Sur un malentendu ça a finalement marché », raconte Balak. 

Bande annonce de l'anime Lastman tirée de la chaîne Youtube Lastman (TV Series)

Le facétieux co-créateur de Lastman espère bien avoir fait tomber des barrières chez les éditeurs et ouvert la voie à de futurs auteurs : « On espérait que ça fonctionne justement pour que ça permette à d’autres personnes de plus facilement proposer un projet manga chez de gros éditeurs. Ça faisait partie du plan. Je pense qu’une aventure éditoriale comme Lastman a donné une espèce de légitimité qui fait que des auteurs peuvent arriver avec un projet chez un éditeur en donnant notre série pour exemple et cela les intéressera. On sait maintenant que ça existe, ça marche et qu’il y a des gens qui demandent ce genre de choses. Enfin j’espère en tout cas que c’est le cas ». Un constat qui semble se confirmer puisque petit à petit, les maisons d’édition française multiplient la création de mangas originaux. Prenons en exemple Ragnafall et Imperium Circus, deux séries débutées en janvier 2020 pour le lancement de la collection Kurotsume chez Kurokawa, ou l’arrivée prochaine de Wind Fighters, le prochain manga de Christophe Cointault chez Glénat.

 

Par ailleurs, comme avec tout marché qui connaît un essor, il existe son lot de projets qui « peut vite tomber dans l’opportunisme » selon Paul Ozouf. En 2018, le chanteur Maitre Gims surprend en annonçant la publication chez Glénat d’un manga intitulé Devil’s Relics pour lequel il a participé à la création. Un flop retentissant puisque seulement 21 000 exemplaires sur 50 000 tirés ont été vendus. « Glénat avait expliqué cet échec par un non-investissement de la part du chanteur dans la promotion du manga », rappelle le rédacteur en chef du Journal du Japon. Il précise également qu’il faut prendre ces précautions avec ce genre de projets : « Avec des flops comme ça on peut très vite refroidir le lectorat français. Le manga français est un cocon avec beaucoup de passionnés mais il faut faire très attention à ce que j’appelle l’opportunisme ». 

 

 

Les nombreuses œuvres du manga français ont été dévorées ou mises de côté par les lecteurs de l’Hexagone. Ces nombreux fans de manga japonais en France ont beaucoup d’exigences concernant leur lecture. Nous avons été à leur rencontre sur Twitter et Discord afin de parler avec eux de leur rapport aux oeuvres françaises.

 

Shisenka, administrateur du groupe Discord « Dessinateurs Secrets » réunissant une centaine de fans de bande dessinées japonaises, avoue avoir lu de nombreux mangas réalisés par des Français. Selon lui, s'ils veulent plaire au lectorat qu’il représente, il va falloir qu’ils trouvent leur propre identité : « Trop de sorties françaises actuelles ne font que copier les mangas japonais pour vendre ou par manque d'originalité, c'est assez triste. Il n’y a pas encore de patte reconnaissable : Radiant a atteint le niveau des œuvres japonaises mais n'a pas de grandes différences avec tous les autres shonen japonais, qui sont un grand classique du genre ».

Il arrive à trouver des lueurs d’espoirs parmi ses lectures, des étendards à hisser pour redorer le blason de l’industrie française du manga : « Par exemple, Talli fille de la Lune est un manga français qui se différencie des japonais et pouvant les égaler ». Il s’explique : « C’est un manga super bien écrit et avec un style assez atypique !  L’histoire est hyper prenante et l'inspiration des RPG* donne tout de suite envie à ceux qui sont fans de ce genre de jeu vidéo ».

TALLI_T1-728x1024jpg

Cette passion pour les mangas l’a poussé à se lancer dans l’aventure lui aussi mais à une seule condition : « Mon objectif c’est clairement de devenir mangaka mais au Japon, vu qu'en France c'est beaucoup trop mal rémunéré ». Mais ce choix s’explique aussi par les mangas japonais dont il est un grand fan et qui l’ont inspiré : "Je m’inspire beaucoup des histoires d'aventures ou de fantasy* comme One Piece ou Drifting Dragon mais aussi d’histoires plus psychologiques comme A Silent Voice par exemple ».

 

Pour atteindre son objectif de devenir mangaka, Shisenka travaille dur et se sert d’Internet pour faire connaitre ses one-shot qu’il produit une fois par an. Les plateformes Mangadraft ou Medibang, où il publie ses dessins, lui servent de tremplin. Le synopsis de son prochain manga est déjà couché sur le papier : « "Izrani s'est lancé à l'aventure pour trouver un remède permettant de soigner Solenn, sa grande sœur de la 'Grippe Rouge'. Maladie qui, une dizaine d'années auparavant, avait décimé leur terre natale... ». Si vous voulez jeter un coup d’œil à son travail, cliquez ci-dessous sur l'image qui vous intéresse :

Shisenka, armé de ses dessins, n’est pas le seul Français à vouloir se lancer dans ce vaste univers que sont les mangas. Rencontré sur Twitter, Paul alias @PoloEnHD ne dessine pas mais souhaite devenir scénariste. Nous l’avons rencontré car il cherchait un dessinateur sur le réseau social : « J'ai toujours voulu être scénariste. Il y a 1 an j'ai sauté le pas et j’ai créé mon premier scénario. Après un an de travail, il est fini. Je cherchais donc un dessinateur pour faire vivre l’histoire que j’ai créée. Maintenant que tout est trouvé, on peut commencer les choses sérieuses ».

 

Pour ce web documentaire, il a accepté de nous donner les grandes lignes de ce projet profondément inspiré par le succès du manga l’Attaque des Titans : « Des enfants sont sur un petit îlot, pour eux, tout va bien, ils nagent dans le bonheur. À leurs 13 ans, on leur annonce qu’ils vont être liés de force à quelqu'un du sexe opposé et envoyer sur l'ile principal qu’ils n’ont jamais vu. Ils vont très vite se rendre compte que cette île est un endroit horrible et cruel, où ils vont vivre les pires épreuves... ». Il croit au potentiel de son œuvre : « Je vais aller voir les éditeurs dès que tout sera fini et je leur stipulerai que je veux tenter les magazines japonais ! ». Son histoire est déjà composée de sept arcs* et le visuel d’un de ses personnages est fignolé. On vous laisse en juger ci-contre :

freedom.jpeg shootingstarspng

Freedom

Shooting Stars

Capture d’écran 2020-05-07 à 183150png

Nos deux fans de mangas motivés voient le prix Tezuka comme le meilleur moyen de vivre leur rêve. « Je veux tenter le prix Tezuka. C’est le prix le plus réputé au Japon. Pour sa 100ème édition, il est ouvert à toutes les nationalités. C’est le moment ou jamais de saisir notre chance ». Shisenka a quant à lui décidé de mettre de côté les réseaux sociaux afin de se focaliser sur une œuvre à présenter pour ce prix. Ce concours existe depuis 1971, ce sera donc pour son 100ème édition (organisé 2 fois par an) que sa nouvelle version internationale sera ouverte aux participations en anglais, en espagnol, en chinois ainsi qu’en coréen. Les résultats sont prévus pour le mois de décembre.

Lexique :

 

Anime : Adaptation en dessin animé d’un manga.

 

Arcs : Partie narrative d’un manga. Marque un cycle, une période dans l’histoire.

 

Cliffhanger : Fin d’un épisode / chapitre destiné créer une forte attente, un suspens...

 

Fantasy : Genre littéraire présentant un ou plusieurs éléments surnaturels incarnés notamment par l'utilisation de la magie.

 

Mangaka : Auteur de manga.

 

RPG : Jeu vidéo de rôle dans lequel le joueur incarne un personnage qui évolue au fil de l'histoire.

 

Seinen : Mangas destinés aux jeunes adultes (15 à 30 ans) de sexe masculin. Univers et problématiques plus sombres que dans les shonen ou shojo.

 

Shojo : Mangas jouant plus sur l’aspect psychologique, axé sur le romantisme, la poésie. Initialement destiné aux jeunes filles.

 

Shonen : Mangas prônant l’amitié et le dépassement de soi destinés aux jeunes garçons.

 

Shueisha / Kondansha : Deux grands éditeurs japonais connus pour être des rivaux depuis leur création.

 

 

 

 

 

 

webdoc_logo_bleu.png
Webd_logo_video_rougepng
webdoc_logo_bleu.png
Webd_logo_video_rougepng
cursor-154478_1280png
cursor-154478_1280png copy
cursor-154478_1280png copy jj
cursor-154478_1280png copy (5)

Si vous voyez les signes ci-dessous dans le webdocumentaire, effectuez les actions suivantes :

cursor-154478_1280png copy (1)
cursor-154478_1280png copy (2)
cursor-154478_1280png copy (3)

Une action se déclenchera si vous cliquez sur ce signe.

Une action se déclenchera quand vous passez la souris par-dessus une image.

Si un mot est marqué d'une * , sa définition est disponible dans le lexique à la fin du webdocumentaire.

Couverture de Talli, fille de la lune tome 1 chez Ankama

Visuel du personnage de notre mangaka amateur

lastma12jpeg

De part sa position géographique et son histoire, la France est un véritable carrefour culturel, notamment dans la bande dessinée. Aujourd’hui les bibliothèques se remplissent du dernier album d’Astérix comme des nombreux tomes de One Piece ou encore de comics estampillés Marvel. Un mélange culturel déjà présent dans les années 80 qui a formé la génération actuelle d’auteurs : « Entre le Club Dorothée et la Cinq, il y avait de l'animation japonaise à regarder quasiment tous les jours. Et tu grandis en même temps avec ça, les films d’action américains, les comics et tout ça fait cette génération d’auteurs pour qui ça fait complètement partie de leurs influences, de la culture commune même », détaille le co-créateur de Lastman.

dreamland_fnl.png
dreamland_fnl.png copy
copia-de-gokubybs-2-1png
copia-de-gokubybs-2-1png copy
naruto.png
Sombrero_de_paja_de_Luffypng
Sombrero_de_paja_de_Luffypng copy
Sombrero_de_paja_de_Luffypng copy (1)
Sombrero_de_paja_de_Luffypng copy (2)
Radiant_detoure_2png

Un webdocumentaire de 

Axel Abdelli, Pierre Gillot et Carla Perruchon